L'année dernière, je vous invitais tous à marcher sur la planche avec moi, à suivre, sur une route dont je n'étais pas sûr de connaître la destination. J'avais une vision, des idées, mais peu à montrer pour un projet. Pire même, je me suis rendu compte cette année que certaines de mes idées, certaines choses que je pensais savoir, se sont révélées fausses. Alors que mon plan initial était d'atteindre les objectifs que je m'étais fixé dans mon programme précédent, je n'ai rien fait de cela, et avant d'en venir au cœur du programme, je vous dois une explication : après avoir marché sur la planche savonneuse l'année dernière, j'ai passé du temps à nager vers la berge, déterminé coûte que coûte à atteindre mes objectifs. Mais comment faire ? Quand, et avec qui ? Ces questions nécessitaient une réponse, et j'ai enfilé le costume d'un bidouilleur ordinaire, et entrepris un voyage pour trouver les réponses.

C'est ainsi que j'ai passé cette année : en observant et en apprenant. Je suivais, et suis toujours, les listes de diffusion majeures de Debian, je suis présent sur IRC, absorbant toute les informations qui tiennent dans mon petit esprit. Je vois maintenant qu'il y a bien plus à faire que je ne le pensais l'année dernière, et que certaines des hypothèses que j'avais faites étaient fausses. Après avoir passé une longue période à apprendre, j'espère avoir réussi et que cette fois, les projets proposé vont servir le même objectif que l'année dernière, mais mieux.

Cet objectif est aussi simple que faire croître Debian d'une communauté de personnes surtout techniques en quelque chose de plus grand : une communauté d'enthousiastes aux yeux qui brillent, et qui veulent jouer leur rôle pour rendre le monde meilleur. Mots ambitieux, tâche ambitieuse.

Le problème

L'un des problèmes fondamentaux avec le projet est qu'il est vieux, mais qu'il n'est pas encore devenu adulte. Nous sommes encore très focalisés sur le mérite technique. N'interprétez pas mal mes mots : c'est aussi très important, mais on peut faire bien plus que ça ! Nous avons d'énormes quantités de talent, mais à peu près toutes les équipes souffrent d'un manque de personnel, et nous semblons lents et inefficaces dans le recrutement de nouveaux contributeurs (que ce soit au sein même du projet, ou à l'extérieur), et même encore moins bons pour les garder motivés. Ce n'est pas nouveau : cela me préoccupait l'année dernière, et je ne suis pas le seul à voir les choses ainsi. Des membres respectables du projet ont aussi exprimé leur pessimisme publiquement.

C'est notre plus gros problème. Nous pouvons être excellents au niveau technique, mais ne pas être capables de garder les gens motivés, ne pas réussir à trouver de nouveaux contributeurs nous fait de plus en plus de mal, et mon intime conviction est que, sans de rapides progrès dans ce domaine, ce ne sera pas seulement moi qui marcherai virtuellement sur la planche savonneuse.

De l'autre côté, nous possédons tous les outils pour aller dans une meilleure direction, plus claire. Nous avons d'excellents bidouilleurs, nous avons des personnes formidables pour la communication, nous avons des gens qui sont des sources d'inspiration pour les autres (regardez juste le motif pour le jeu du chef de projet !), nous avons tout ce dont nous avons besoin. Lisez la suite, chères lectrices et lecteurs, et voyez mon plan !

Danser sur une corde raide

Pour prendre un chemin qu'on n'avait pas pris de manière si consciente avant, nous avons besoin d'une vision à laquelle on aspire. Une vision du projet dans son ensemble, une vision de nous-mêmes, pour voir où nous souhaiterions être dans quelques années.

Comme Stefano l'écrivait si bien dans son programme l'année dernière, Debian est une entité unique dans l'écosystème plus large du logiciel libre. Allez lire sa description, elle peut difficilement être mieux écrite. C'est cette même vision que je partage, où Debian grandit pour devenir bien plus que des centaines de personnes talentueuses assemblant les morceaux pour créer une distribution. Je veux voir Debian devenir plus que ça, quelque chose qui attire non seulement les génies techniques, mais aussi ceux qui manient le pouvoir du verbe et de l'inspiration, car ces qualités vont rarement ensemble.

Je vois un projet où les gens reconnaissent les forces des autres et utilisent ces forces, un projet où nous pouvons — et allons — nous tourner les uns vers les autres et travailler ensemble pour atteindre un tel équilibre de savoir-faire, de même que nous avons déjà réussi à créer et maintenir la distribution elle-même.

Dansons !

Mais hélas, une vision est inutile sans un plan. C'est l'erreur que j'ai commise l'année dernière, et que je répéterai pas. Les approches que j'ai choisies peuvent sembler étranges ou bizarres à première vue, mais soyez certains qu'elles ont été soigneusement soupesées et que la plupart ont été testées dans un cadre plus restreint.

Communication

Ce que j'ai vu et ce dont j'ai fait l'expérience l'année passée (et en réfléchissant, bien plus que ça, je ne savais où mettre l'expérience à l'époque) est que la communication écrite est rarement le meilleur moyen pour atteindre les gens. De nos jours, les textes écrits atteignent ceux qui sont déjà curieux. Ils n'atteignent jamais ceux qui attendent passivement l'illumination. Et même s'ils les atteignaient, la plupart du temps, il n'y a pas de canal direct entre l'auteur et le lecteur, ce qui pénalise non seulement la latence de la communication, mais aussi la qualité. Sans compter que, aussi triste que cela puisse paraître, le lecteur est souvent trop timide pour s'engager.

Ce qui aide, c'est le temps passé en tête à tête. Des événements où on peut atteindre des gens, et recevoir un retour immédiat, où on peut remarquer les timides, et les aider, où on peut immédiatement s'adapter aux attentes.

Pour cette raison, je sens le besoin d'encourager et d'aider les équipes locales de toutes les manières possibles, pour organiser des hackfests (fêtes de la bidouille), séminaires de code, et toutes sortes d'événements pouvant attirer auprès d'elles la jeunesse aux yeux brillants (à 20 ou 80 ans, ce qui compte, c'est la jeunesse d'esprit) dont on a tellement besoin. Ces événements n'ont pas du tout besoin d'être techniques : des sessions au sujet de la publicité autour de Debian, sur la façon de représenter le projet dans la presse ou à des conférences, seraient tout aussi utiles (sinon plus). En parallèle avec ces hackfests, nous pourrions — et devrions — avoir des événements focalisés sur la façon d'améliorer notre communication, car c'est tout aussi important.

Avec une forte attention sur les questions non techniques, je crois que nous pouvons prendre le chemin d'un progrès rapide : mon expérience montre qu'une personne technique et une non technique peuvent s'inspirer l'une l'autre, mieux que le feraient deux personnes techniques. Avec une attention portée sur les domaines où nous sommes insuffisants, nous améliorons indirectement ceux dans lesquels nous sommes déjà bons.

Inspiration et motivation

Mais trouver de nouveaux contributeurs, qu'ils soient techniques ou non, n'est qu'une partie, et la plus facile, du problème. Il est bien plus difficile de garder les personnes intéressées pour une longue période que d'avoir à en trouver.

D'une part, je voudrais m'appuyer sur ces membres de notre communauté, pour qui nous avons une haute estime (en particulier, mais pas seulement ceux qui ont été mentionnés pendant le jeu du chef de projet). Ils savent ce qui les fait continuer, ils savent ce qui les fait fuir, et nous avons besoin de l'intégrer. J'aimerais les entendre parler plus souvent à des conférences, car ils sont, je le crois, une source bien plus crédible que n'importe quel représentant officiel élu, au moins dans certaines situations.

J'aimerais aussi entendre la voix de chacun, des membres les plus anciens aux plus jeunes. J'aimerais lire — et si nécessaire conduire — des entretiens avec des personnes devenues récemment développeur Debian, afin de recueillir leur expérience, d'apprendre ce qu'ils pensent qui est bien ou mal, car une vision fraîche est tout aussi importante qu'une expérience acquise en une décennie.

D'autre part, nous devons aussi faire quelque chose pour les problèmes déjà soulevés. Nous savons déjà que beaucoup de difficultés sont dues au manque de temps, à la surcharge de travail et finalement à l'épuisement. Nous connaissons la solution à cela : recruter plus de gens et utiliser mieux les ressources que nous avons. Une partie peut être résolue en augmentant notre taille, mais pour l'autre partie, des changements plus profonds peuvent s'avérer nécessaires. Je ne saurais dire quels devraient être ces changements maintenant : il n'y avait simplement pas assez de temps pour creuser la question plus profondément et je risque de ne pas être non plus la meilleure personne pour les entreprendre. Je suis cependant confiant que nous découvrirons la solution au cours de notre voyage.

La première étape est l'augmentation de connaissances, sans lequel aucun plan supplémentaire ne peut être fait.

Recrutement

J'ai déjà abordé ci-dessus le sujet du recrutement, au moins le comment de l'approche. Je voudrais m'étendre sur le pourquoi, en particulier : pourquoi encourager le recrutement de contributeurs non empaqueteurs alors que nous construisons une distribution et nous manquons aussi de main-d'œuvre ?

Je répondrai à ces questions séparément.

Tout d'abord, j'aime toujours à penser — mais peut-être ai-je tort — que nous avons une quantité de main-d'œuvre d'empaquetage incroyable, que nous n'arrivons pas à utiliser au maximum de sa capacité. Nous pouvons l'utiliser plus, nous pourrons toujours le faire. Mais cela aide si nous réussissons à faire meilleur usage de nos ressources existantes.

Et c'est là qu'interviennent les contributions des non empaqueteurs. Si nous améliorons nos compétences dans les domaines où nous sommes insuffisants, cela améliorera en contrepartie la qualité générale du projet, qui en retour améliorera le moral, et une communauté vibrante, accueillante et qui fonctionne bien attire encore plus de gens, et nous garde aussi motivés pendant plus longtemps.

Une souris sur la corde raide

Après tout ça, vous pouvez vous demander qui je peux bien être, et pourquoi vous n'avez pas vu mon nom dans les listes de diffusions au cours des dernières années. Je ne suis plus une personne très bavarde, ni l'adolescent à la tête chaude que j'étais il y a une dizaine d'années. La plupart d'entre vous me connaissent par le surnom que j'utilise en ligne, algernon, et dans la plupart des cas, je préfère qu'on m'appelle ainsi aussi dans la vie réelle, pour des raisons stupides dans lesquelles je préfère ne pas me plonger (la première étant que les gens ont du mal à prononcer correctement mon prénom, et que j'ai du mal à reconnaître mon prénom, sauf s'il est prononcé comme je l'ai appris). Néanmoins, je m'appelle Gergely Nagy, et je suis un bidouilleur en convalescence, qui a l'intention d'obtenir une licence de lettres, avec des dominantes en grammaire hongroise et en littérature, dans les trois à cinq prochaines années.

Au cours de l'année dernière, je me suis efforcé d'observer et d'apprendre de dirigeants exceptionnels dans mon travail, car j'avais la chance de les rencontrer en personne et d'interagir avec eux quotidiennement. Heureusement pour moi, j'ai beaucoup appris de certains sur la motivation, mais aussi sur la politique dans les coulisses.

Et bien que j'aie encore une immense quantité de choses à apprendre, j'aime à croire que je peux y arriver. Je sais que je peux apprendre les sujets techniques extrêmement rapidement (mon travail en dépend, et je n'aurais plus d'emploi si je n'y arrivais pas). Je suis confiant que je peux faire la même chose pour d'autre domaines, au moins aussi longtemps que ça n'implique pas des quantités énormes d'économie. Cela s'est avéré être une barrière importante par le passé.

Mais retournons au point le plus important : mes compétences d'organisation, de présentation et de gouvernance. Je suis coorganisateur des rendez-vous du groupe d'utilisateurs de Clojure de Budapest, j'ai commencé à encourager la participation à l'été du code Google à mon travail l'année dernière (nous avons participé grâce à OpenSuSE qui nous a donné un créneau), et je coordonne les efforts cette année, afin de devenir organisation encadrante. Je donne régulièrement des exposés et des présentations à des séminaires de code, des rassemblements, et d'autres événements du même type, où je peux à la fois pratiquer et apprendre l'art d'interagir avec les gens, ainsi que celui d'organiser des événements.

Réfutations

Il est de coutume pendant les élections pour le chef de projet d'écrire une réfutation au programme des autres candidats. Cependant, c'est très difficile à faire cette année, car cette fois il y a beaucoup de chevauchement entre les programmes, les buts et les idées proposées. Il est difficile de réfuter un autre programme sans réfuter le sien. Donc, au lieu de mettre en relief les points de désaccord (s'il y en a, ils sont peu nombreux), je souhaiterais souligner ce qui me semble faire défaut dans les autres programmes.

Bien entendu, ces notes sont principalement basées sur les programmes car j'ai malheureusement du retard dans ma lecture de la liste de diffusion debian-vote@. De plus, à cause du haut degré de similarité entre les programmes, je ne pointerai pas toujours un seul programme, mais mentionnerai plutôt ce que j'ai trouvé troublant ou insuffisant en général. Donc sauf indication contraire, mes propos ci-dessous s'appliquent à la fois au programme de Moray et de Lucas.

La chose qui me frappe le plus dans ces deux programmes est l'absence de propositions pour les membres non empaqueteurs du projet, point sur lequel j'ai fortement insisté dans mon propre programme. De même, bien que Moray indique vouloir encourager plus d'événements locaux, je trouve que ces rares paragraphes sont un peu insuffisants. Lucas ne mentionne même pas les équipes locales dans son programme, alors même qu'elles forment une part très, très importante de la communauté Debian et un outil formidable à notre disposition. Ils peuvent largement étendre notre portée ! Étant donnée leur importance, trop peu a été dit aussi bien sur les équipes locales que les événements locaux, même lorsque les autres candidats reconnaissent explicitement leur importance.

D'autre part, Lucas parle de l'innovation dans Debian (ce qui fait défaut à mon avis dans le programme de Moray), mais bien qu'il soulève le problème, j'ai malheureusement trouvé la section qu'il y consacre vague, une erreur que j'avais moi-même commise l'année dernière et que je me suis forcé d'éviter cette fois, en faisant explicitement la liste de quelques unes de mes idées sur la façon dont je pense inspirer et motiver les gens, qui à leur tour vont promouvoir l'innovation au sein du projet.

D'après ce que j'ai vu — je peux me tromper et je suis évidemment biaisé — les deux programmes sont raisonnablement explicites lorsqu'il s'agit de sujets plus faciles, les choses connues pour fonctionner et que l'on continuera de faire dans le même esprit que notre prédécesseur. Mais lorsqu'il s'agit d'expérimenter de nouvelles idées, j'ai trouvé les programmes trop vagues. Il y a des exceptions, bien sûr : l'idée des stagiaires de Moray par exemple est expliquée du mieux possible avec les contraintes du programme. Je n'ai rien trouvé de semblable dans le programme de Lucas. Cependant, la majorité des idées qu'il a présentées sont techniques et sont les domaines dans lesquels nous sommes assez bons, et où nous avons une chance raisonnable de nous améliorer, et sont donc des sujets plus faciles. J'étais surpris par le programme de Lucas car bien qu'il mentionne le besoin d'expérimentation comme étant important, les idées vraiment expérimentales faisaient défaut. J'en ai trouvées plus dans celui de Moray.

Pour résumer, j'ai trouvé les discussions sur debian-vote@ bien plus utiles jusqu'à maintenant que les programmes. Beaucoup de questions ont été posées et auxquelles des réponses ont été apportées, et qui n'étaient même pas abordées par les programmes.