Programme de Chris Lamb

Chers amis développeurs de Debian,

C’est devenu un cliché de poser des question rhétoriques sur le rôle de Debian de nos jours dans l’écosystème du logiciel libre. Est-ce que le projet est toujours d’actualité ? Dévie-t-il de son objectif ? Que représente-t-il ?

Debian va se retrouver en prise avec des défis croissants dans les années à venir. Nous pouvons aisément nous voir relégués à servir de "glue" sous-jacente pour la prochaine génération de systèmes conteneurs ou de l’internet des objets – bien que ce soit une sorte de succès, nous trouverons de plus en plus difficile d’attirer et retenir des développeurs. Cela aggravera notre problème récurrent de main-d'œuvre, mais ne réussira pas également à augmenter la diversité philosophique, technique et sociale existante de nos adhérents actuels.

Nous devrions toujours nous poser de difficiles questions telles que pourquoi le wiki de Debian n’est pas devenu comme le fameux wiki d’Archlinux, pourquoi les fournisseurs de nuage tels DigitalOcean ou AWS utilisaient (et n’utilisent plus) Debian par défaut, ainsi que comment intégrer judicieusement la multitude de responsables de paquet de tierce-partie dans notre infrastructure actuelle.

Quoique l’environnement du source ouvert ne soit pas un jeu de somme nulle, je ne peux m’empêcher de ressentir une pointe de regret à chaque fois que j’entends parler d’initiatives — particulièrement celles sensationnelles — basées sur nos dérivées plutôt que sur nous. Il est un autre cliché à souligner que beaucoup d’utilisateurs et de développeurs, qui ont dû utiliser Debian dans le passé, utilisent maintenant ces distributions ; certainement que ces catégories spécifiques ou amateurs préfèreraient notre approche ascendante ou "correctifs bienvenus" à la prise de décision ?

Aller de l’avant

En dépit de cette note de pessimisme, Debian fonctionne extrêmement bien . Je n’ai pas l’intention de surcharger ici le lecteur avec une liste de succès ou de statistiques, mais notre distribution à venir sera encore la plus réussie et une réalisation dont nous devrions être vraiment fiers. Nous sommes encore particulièrement bien placés pour améliorer l’écosystème du logiciel libre dans son ensemble, avec un gros potentiel de croissance et innovation.

Toutefois, je crois que ce dont Debian souffre le plus est un problème de communication et perception par rapport au monde extérieur.

Notre image peu brillante — bien résumée par notre site web peu captivant — illustre ce à quoi P. G. Wodehouse ferait référence comme un manque de "piquant et d’entrain". Ma courte expérience dans la communauté des startup me dit que l’élégance et l’éclat (polish and pizzazz) sont des parties essentielles de tout projet, que ce soit à but lucratif ou non. Nous sommes en train de faire du tort à nous-mêmes, à nos utilisateurs et à nos potentiels futurs développeurs, en délaissant (ou en évitant délibérément) les notions de base du marketing.

Nous accueillons aussi mal les utilisateurs non familiers avec Debian. Nos canaux d’assistance regorgent de demandes élémentaires telles que savoir quelle distribution convient à leurs besoins, ou même comment réaliser une installation basique demandant des pilotes non libres de réseau sans fil. Bien que ce soient des exemples isolés, notre inaptitude à donner des solutions par avance claires illustre que nous manquons d’empathie suffisante pour les nouveaux venus ou ceux d’orientation ou d’environnement différents.

Dernièrement, des tiers potentiellement intéressés pour une contribution me demandaient comment Debian fonctionnait ou étaient curieux de savoir comment les choses (particulièrement sur quoi travailler) étaient décidées. La réponse à cela, bien sûr, constitue le charme et l’attrait centraux de Debian pour beaucoup d’entre nous, mais le revers de la médaille est que nous sommes facilement perçus comme une organisation difficile à saisir, avec des procédures pour les contributeurs étiquetées négativement comme "difficultés" ou "obstacles".

Cette liste des soucis est peu de malheur puisque la réalité sous-jacente est tout autre : nous sommes plus pertinents que jamais étant donnée la croissance constante de notre base d’utilisateurs mais aussi de nos distributions dérivées. De plus, nous avons récemment mené un certain nombre d’initiatives techniques et engageantes telles que les constructions reproductibles. Nous devrions viser le renforcement de notre position, pas uniquement du point de vue technique, mais aussi en termes de visibilité et d’image ; nous ne voulons pas devenir – ou même être perçus comme – un simple dépôt de paquets de haute qualité.

Ma vision pour Debian

Les programmes de DPL sont souvent accusés de comprendre beaucoup de vagues promesses d’être "transparent", "augmenter la participation ", "promouvoir le travail autre que l’empaquetage" et ainsi de suite. De telles promesses par trop générales sont à la fin contre-productives ; en l’absence de métrique concrète sur la réussite ou l’échec, elles peuvent aisément conduire à s’éteindre et à un manque de confiance dans la fonction en général.

Mon approche sera différente – tandis que j’accorderai les délégations habituelles sans discussion et financerai les projets et les fonctions d’ambassadeur quotidiennes, j’ai l’intention de concentrer mes efforts sur quatre secteurs principaux. En limitant mon domaine, je m’efforcerai d’apporter un impact significatif et durable durant mon mandat.

Premièrement, j’organiserai plus de rencontres. J’ai eu le privilège de participer à plusieurs évènements de Debian, comprenant des DebConfs, des chasses aux bogues, des hackathons, des sommets et des rencontres. Ceux-ci n’ont pas été que socialement gratifiant, mais remarquablement productifs pour le projet. Plus important encore, nous sous-évaluons scandaleusement les répercussions à long terme de tels rassemblements car ils agissent comme des lubrifiants sociaux pour des communications ultérieures en ligne qui pourraient déraper. Je n’aiderais, n’encouragerais et ne faciliterais pas uniquement l’organisation de nouveaux évènements, je veillerais à augmenter le nombre et la diversité des personnes assistant aux réunions programmées partout où c’est possible.

Deuxièmement, j’améliorerai notre processus d’accueil et d’intégration des nouveaux utilisateurs et développeurs. Comme je l'ai suggéré plus haut, nous perdons un grand nombre de nouveaux venus à cause de la combinaison de manque d’information dans certains endroits et d’un superflu de détails complexes dans d’autres. J’expérimenterais de nouvelles pratiques telles que des tests d'utilisabilité pour identifier nos plus gros goulots d’étranglement pour, par exemple, un nouvel utilisateur entendant parler de Debian et essayant de l’installer sur son système.

Troisièmement, je créerai notre propre programme d'ouverture . Le projet Outreachy a été un succès remarquable en impliquant de nouveaux développeurs sous-représentés dans le logiciel libre et comme coup publicitaire pour le projet GNOME. Bien qu’une initiative spécifique à Debian ne puisse être aussi globale, cela nous donnerait plus de flexibilité dans la manière de contribuer, tout en soulignant la consécration de Debian à "l’universalité" dans toutes ses formes et pour un vaste public.

Enfin, je supprimerai fermement tout bloqueur pour travailler efficacement dans Debian. Il a été rapporté que Debian possède une surabondance de ressources. Si votre travail peut être facilité ou optimisé avec du matériel ou de la puissance de calcul, j’ai l’intention de changer les habitudes de telle façon que personne n'hésite plus demander. S’il existe des blocages sociaux ou de personnalités, j’accélèrerais la recherche de solutions novatrices pour cela également.

Qui suis-je ?

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Je suis un programmeur informaticien de Cambridge en Angleterre. Après avoir travaillé dans le monde des startup à Londres pendant plusieurs années, je suis devenu travailleur indépendant et aborde avec plaisir les défis et les perspectives que cela me procure, particulièrement dans la manière dont cela peut m’aider à contribuer davantage au logiciel libre.

J’ai récemment fêté mon dixième anniversaire de contribution à Debian. Alors qu’initialement j’étais un étudiant du « Google Summer of Code », je suis finalement devenu un développeur Debian officiel en septembre 2008. Depuis lors, j’ai été assistant FTP, membre des équipes responsables de Debian Live, Debian Installer, Python, X.Org et Javascript en plus d’être un participant dans les démarches de QA pour toute l’archive et de contribuer à Lintian. Plus récemment, j’ai été engagé dans le projet des constructions reproductibles où j’ai obtenu une subvention de la Fondation Linux.

Je suis responsable d’un certain nombre de paquets, mais ai aussi écrit une assez bonne quantité de logiciels spécifiques à Debian tels que AptFS, debian-bts-applet & travis.debian.net, et je suis aussi l’auteur original du robot IRC #debian-devel-changes et de Debian Timeline. Enfin, dans le cadre de mon travail sur le projet Debian Long Term Support (LTS), j'écris un rapport mensuel sur les travaux réalisés concernant le logiciel libre en général, dont le dernier peut être vu sur mon blog. Je suis aussi le responsable de beaucoup de logiciels non-Debian.

Lorsque je ne code pas, je suis un lecteur vorace, un spectateur de films, un Ironman, ainsi qu’un musicien classique avec un intérêt particulier pour la musique ancienne.